Lettre ouverte à Jean-Marie Le Pen

M. Le Pen, je voudrais vous présenter mes excuses.

Il y a de cela quelques décennies maintenant, vous avez pris sur vous le rôle du Grand Méchant. Vous vous êtes avancé et vous êtes devenu le point focal de la haine, de la méchanceté, de la peur, du rejet. Déjà, à l'époque, ils vous ont laissé faire. (Je suis trop jeune, moi.) J'imagine qu'ils avaient leurs raisons. J'y vois une part de manipulation politique. J'y vois une part de tentative de rangement. C'est rassurant de se dire : "Ah, on a un point focal, il va attirer à lui tous ceux qui haïssent, tous ceux qui rejettent. Au moins, on saura où ils sont, ça sera plus facile à gérer."

Je considère que ces deux raisons étaient des erreurs. Et à notre époque, après plusieurs décennies d'utilisation, elles sont devenues des aberrations.
La première est une erreur parce qu'un politique ne devrait pas avoir à se comparer à un autre pour être élu. Un politique devrait être élu pour ce qu'il propose, pour son programme propre, pour ses idées propres. Pas parce qu'il est mieux ou moins pire que ses concurrents. Pas parce qu'il y a en face un épouvantail qu'il faut fuir à tout prix.
La seconde est une erreur parce que c'est traiter les symptômes au lieu de traiter les causes. Nos prédécesseurs et nous-mêmes avons préféré stigmatiser les militants de votre mouvement. Certes, il est plus difficile d'éduquer les gens. Il est difficile de montrer que l'Autre est tout aussi humain que soi, que le rejet de la différence n'est pas une solution, bien au contraire. Cette éducation demande du temps et des efforts. C'est plus facile, plus rapide de ne rien faire et de laisser ceux qui viendront après gérer l'explosion. Mais c'est aussi bien plus dangereux.

Et toutes les générations politiques ont fait les mêmes erreurs depuis votre arrivée. (Enfin, je dis générations politiques au sens large. Vu le renouvellement de nos dirigeants, il n'y a pas eu beaucoup de générations.)

Du coup, de simple épouvantail rassembleur, vous êtes devenu la Bête Noi-- Pouf-pouf. L'Adversaire. Le Seigneur du Mal. Le Coté Obscur.
Nous vous avons laissé accumuler toute cette haine. Nous vous avons laissé focaliser à la fois le mépris venant de ceux qui se considèrent meilleurs et votre propre haine de l'Autre, amplifiée par celles de vos disciples.

Si encore cela s'était limité à vous, à une seule personne... Mais non. Encore une fois, nous vous avons laissé faire. Et soudain, nous nous sommes rendus compte que vous aviez transmis cette charge. D'abord à votre fille, puis à votre petite-fille. Pourquoi n'avons nous rien fait ? Pourquoi laissons nous encore des enfants être éduqués dans la haine de l'Autre ? Pourquoi laissons nous des enfants être éduqués pour devenir le visage du Mal ?

Nous aurions dû expliquer. Nous aurions dû accepter l'Autre. L'accueillir. Mais vraiment. Lui donner un foyer et pas seulement un logement. Lui donner une vie complète et pas seulement un salaire ou une allocation. Nous aurions dû montrer que l'Autre n'est pas l'ennemi. Nous aurions dû faire en sorte que la haine se réduise petit à petit et vous libère. Nous aurions dû faire en sorte que ce rôle de point focal de la haine n'existe plus. Pour que vous puissiez enfin reprendre une vie normale, sans avoir à vous battre, sans avoir à éructer vos messages de rejet, sans avoir à devenir cet Adversaire que la majorité conchie et insulte à voix haute avant de lui donner validation en cachette. Pour que vous n'ayez à sacrifier ni vos enfants et petits-enfants, ni l'amour qu'ils vous portaient.

Pour toutes ces actions que nous aurions dû faire, pour toutes vos vies gâchées, M. Le Pen, Mme Le Pen, Mme Marechal - Le Pen, mes excuses.

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