Interventions en Milieu Scolaire
Par Raphael Isla le samedi 3 juillet 2021, 18:10 - Decouvertes - Lien permanent
À l'automne 2018, après avoir quitté le Parti Pirate, j'ai récupéré beaucoup de temps libre. Je me suis dit que c'était l'occasion de me lancer dans une activité qui m'intéressait beaucoup : les Interventions en Milieu Scolaire (IMS dans le reste de ce billet).
Qu'est-ce qu'une Intervention en Milieu Scolaire ?
Les intervenants en milieu scolaire sont des personnes qui n'appartiennent pas au corps enseignant et viennent ponctuellement dans un établissement pour fournir aux élèves des informations complémentaires. Il s'agit d'un moment d'échange entre les élèves et des personnes extérieures. Chaque IMS a un sujet particulier, il ne s'agit pas de parler de tout et n'importe quoi.
Par exemple, il y a des IMS pour parler :
- du sexisme,
- des lgbt-phobies
- du handicap
- du respect de la loi
- etc.
Les IMS sont réalisées par des personnes physiques, des associations ou des institutions.
En septembre 2018, je me suis donc rapproché d'une association à laquelle j'adhérais et qui était spécialisée dans les IMS, pour signaler ma disponibilité et ma motivation.
J'ai suivi une formation interne à l'association, puis j'ai assisté à des IMS de cette même association, avant d'intervenir moi-même. Au printemps 2019, pour certaines raisons, j'ai quitté cette association et je me suis rapproché d'une autre association, moins spécialisée dans les IMS mais toujours ancré dans le domaine qui m'intéressait. Là aussi j'ai suivi une formation interne et j'ai observé les intervenants précédents avant de devenir acteur.
Dans le cadre de la première association, les IMS avaient pour but la lutte contre le sexisme et contre l'homophobie. Avec la seconde association, il y a eu à la fois focalisation et ouverture puisqu'il s'agissait de lutter contre les lgbt-phobies.
En parallèle de cette légère différence de fond (la lutte contre les lgbt-phobies passe aussi par la lutte contre le sexisme), il y avait aussi une différence de forme. Ainsi qu'un gros point commun : la participation des élèves. À chaque fois, le but n'est pas de monologuer sur un sujet. Le but est d'échanger, de faire participer les élèves, de leur poser des questions, de les inviter à réfléchir, des les inciter à trouver les bonnes réponses. Pour cela, chacun a ses méthodes, son plan, ses questions préparées, ses questions improvisées.
Voilà pour la théorie et le contexte. Parlons maintenant de mon expérience.
Personnellement, je suis intervenu auprès de différentes classes, de la 4eme à la Terminale, dans plusieurs établissements. Dans le désordre :
- À Toulouse :
- Le lycée professionnel Galliéni
- L'EPIDE
- Le collège des Ponts Jumeaux
- Le lycée Airbus
- Le lycée des Métiers du Bâtiment Urbain Vitry
- Le collège Georges Sand,
- Le lycée professionnel Roland Garros
- Dans d'autres villes
- Le lycée Sixte-Vignon, à Tarbes
- Le CFA et lycée agricole de Beaulieu Lavacant, à Auch
- Le collège Gambetta, à Rabastens
Je n'ai regretté aucune de ces interventions. Chaque fois, j'ai eu l'impression de servir à quelque chose, de transmettre un savoir, d'apporter un moment de réflexion, de fournir un témoignage
Chaque établissement est différent. Chaque classe est différente. Chaque intervention est différente. Malgré le plan à suivre. Malgré les informations sur les établissements et les classes. On pense savoir à quoi s'attendre et on se trompe souvent.
Bon, soyons honnêtes : parfois, on se prend des claques (au figuré, hein). Dans un sens ou dans l'autre. Souvent négativement, mais pas toujours. Mais personnellement, je ne regrette jamais. Je ne baisse pas les bras. Je ne me suis jamais dit « à quoi bon ? » pendant ou après une IMS. Parce que à chaque fois, il y a des bons moments. Parce que à chaque fois il y a de l'espoir. Parce que je reste persuadé que le seul moyen de nous sauver, c'est l'Éducation.
Mais parfois, c'est dur. Pour nous, les intervenants. Pour eux, les élèves. Pour les LGBT+, qu'ils soient parmi les élèves ou parmi les intervenants.
Je me souviens de cette classe. À la sortie, j'avais dit à la professeur que les élèves avaient signalé à la fois un intérêt et une bonne connaissance du sujet. Elle m'avait répondu que tel élève vivait les violences intra-familiales, que telle autre avait été violée et qu'une troisième était harcelée par son ex.
Je me souviens de cet élève qui a répondu, mezzo voce, « zoophiles », quand j'ai demandé ce qui pouvait intégrer le + de LGBT+. Je lui ai bien fait comprendre que ce genre de remarque pouvait tomber sous le coup de la loi, que son établissement pouvait aussi se retourner contre lui et que j'étais à titre personnel plutôt énervé par la remarque. (Je fais très bien passer le message du « juste courroux » quand c'est nécessaire.)
Je me souviens de cette classe, où un petit groupe était tellement sexiste qu'une des intervenantes à dû quitter la salle.
Je me souviens de cet élève venu nous voir à la fin de l'intervention pour nous dire qu'il avait essayé l'homosexualité, mais que suite à du harcèlement de ses camarades et de ses professeurs il était « revenu sur le chemin de l'hétérosexualité ».
Je me souviens de cette classe où un petit groupe sortait des remarques lgbt-phobes, pas assez fortes pour que je les entende, mais assez fortes pour que d'autres élèves quittent la salle pour fuir la haine.
Je me souviens de ces élèves qui nient l'existence de certains concepts ou certaines formes d'expressions. De ces élèves qui ne voient le monde qu'en noir ou blanc, homme ou femme, homo ou hétéro et qui renâclent à l'idée d'un éventail de possibilités ou de façons d'être.
Je me souviens de ce questionnaire anonyme, récupéré en fin d'IMS qui associait le terme « homosexualité » à « brûlez en enfer ».
Je me souviens de cette élève qui a comparé l'homosexualité et/ou la transidentité à une mode, comme « la dernière robe Zara qu'il faut absolument avoir ».
Je me souviens de cette intervention il y a deux jours où trois classes à la suite m'ont dit « On voit trop de LGBT. On est envahis. » ou « Oui moi j'ai l'impression que on veut me forcer à être LGBT, tellement on en voit dans les médias. » J'ai commencé à répondre tranquillement en parlant de la représentativité, des pourcentages de LGBT+ dans la population et dans les médias, du besoin d'avoir des modèles, du besoin de ne pas se sentir seul. Après plus de 6h de cours, la fatigue aidant, j'ai légèrement perdu mon contrôle. J'ai raconté mon expérience, mon vécu. J'ai expliqué qu'avec des modèles je n'aurais pas perdu 10 ans de ma vie. Et je sentais que, en plus du mode « juste courroux », je passais aussi en mode triste. J'ai senti des larmes monter. J'ai fini mon (court) discours, j'ai refilé le feutre à ma collègue et j'ai annoncé aller prendre l'air dans le couloir pour quelques instants. Ce que j'ai fait. Et je suis revenu pour reprendre le cours un peu plus tard. À la fin de cette intervention, un membre d'une autre asso LGBT+, qui avait assisté à tout ça, m'a dit que j'avais marqué les élèves. J'espère que c'est vrai, j'espère que ça aura servi à appuyer tout le reste de l'intervention.
Heureusement, il n'y a pas que du négatif. Il y a aussi du positif.
Il y a les élèves qui participent.
Il y a les élèves qui savent déjà certaines choses, comme ce qu'on trouve derrière le + de LGBT+.
Il y a celles et ceux qui savent reconnaître le harcèlement, ses causes et ses conséquences.
Il y a des moments mignons, surtout en collège.
Il y a des moments de rire, comme la fois où ce gaillard de 19 ans en lycée agricole avait été très mal à l'aise à l'évocation du concept de sodomie, mais assez intéressé et assez résistant pour rester dans la classe pendant la discussion à ce sujet.
Il y a les rougissements de certains lycéens à la découverte de certains moyens de contraception et des éventuelles pratiques associées.
Il y a les boulettes sans conséquences, comme la fois où j'ai mégenré une élève, qui ne m'en a pas voulu.
Il y a les élèves qui reviennent après la sonnerie pour nous remercier et nous expliquer ce qui leur a plu, ce qui les a marquées.
Il y a les débriefings post-IMS avec les autres intervenants et/ou les autres encadrants présents. Il y a le fait de se sentir utile, de se sentir investi d'une mission importante.
Les Interventions en Milieu Scolaire sont à mon avis non seulement utiles mais aussi nécessaires. Si vous faites partie de l'Éducation Nationale, si vous êtes dans un lycée ou un collège et si vous souhaitez demander une IMS pour vos élèves, parlez en à vos chefs d'établissements. Et sachez que l'association Le Refuge, et par extension ses bénévoles (moi compris), a un agrément de l'Éducation Nationale, lui permettant d'intervenir dans le cadre de la lutte contre les LGBT-phobies. Vous pouvez contacter la Fondation via le formulaire de contact, pour toute demande.
Ah, oui, profitez-en, parce que d'après notre Président, « tout ce qui vous renvoie à une identité, une volonté de choquer ou d’exister n’a pas sa place à l’école ». (Je n'invente rien, c'est dans ELLE.) Ce qui me cause de l’inquiétude pour notre avenir en tant que société.