Prêter un livre, ça devient compliqué

Au début du mois, mon père et moi avons offert à ma mère une liseuse, à l'occasion de son anniversaire. En bon pirate, j'ai rempli l'appareil d'une bonne centaine d’œuvres, achetées légalement ou pas. Mi-decembre, pendant que nous défilions en faveur du mariage pour tous, ma mère m'interroge : "Est-ce que je peux envoyer les fichiers des livres à des amis? Comme si je leur prêtais un livre." Très bonne question, à laquelle il y a plusieurs réponses.

Je vais aborder trois points de vue pour essayer de répondre à la question :

Techniquement : C'est le point de vue le plus simple. La liseuse de ma mère, à l'instar de mon smartphone, peut lire toutes sortes de fichiers informatiques mais fonctionne principalement avec des epubs, des mobis, des pdf ou des txt. Il est très facile de copier ces fichiers d'un ordinateur à un autre (liseuses comprises), via un câble usb, un réseau Ethernet, une clef, un disque dur externe, une disquette, etc. Il peut éventuellement y avoir un problème de lecture si le fichier copié est protégé par un DRM. (Un DRM, ou GDN, a pour objectif de contrôler l'utilisation qui est faite d'une œuvre numérique.) Le DRM empêchera alors l'appareil de lire le fichier en question. Mais il existe des logiciels assez faciles d'utilisation qui permettent de faire sauter les protections DRM. En tant que pseudo-geek et vrai Pirate, j'ai les connaissances necessaires pour trouver et utiliser ce genre de logiciel. La copie technique reste donc assez facile.

Légalement : Ça commence à se compliquer. Déjà, il faut savoir quelle est la licence de publication de l’œuvre en question. S'agit-il d'un simple "Tous droits réservés" ou d'un tout aussi simple CC-0 ? Ou quelque chose de plus complexe entre les deux comme une CC-BY-ND-SA ? (Cf billet sur les licences libres.) La loi n'est pas la même dans ces différents cas.
Si nous prenons un livre "classique", avec un auteur, un éditeur et un distributeur, alors la reproduction par une personne n'ayant pas l'autorisation expresse est interdite. On n'a pas le droit de photocopier un livre pour donner (ou vendre) les photocopies à une autre personne, on n'a pas le droit  de copier un CD audio ou une cassette pour le donner ou le vendre à un autre. C'est de la contrefaçon. Le même principe s'applique aux supports numériques. "Oui, mais on a le droit de prêter ou donner ou vendre un livre à un ami." Certes, mais là, il ne s'agit pas de copie. Si vous prêtez / donnez / vendez votre livre, vous ne l'avez plus et il vous faut le rachetez auprès du distributeur agréé si vous le voulez. Alors qu'on ne prête pas un fichier informatique. On le copie et chaque personne garde sa copie.
Si nous prenons un livre au format "libre", alors il y a plus de chances que ce soit possible. L'auteur peut choisir de diffuser son œuvre en spécifiant : "vous pouvez copier et distribuer cette œuvre sans problème". Dans ce cas, personne ne peut vous poursuivre pour contrefaçon. L'auteur peut demander une contrepartie autre que financière, tout dépend de la licence choisie.
A une époque, des rumeurs circulaient sur internet, disant que la loi ne punissait que les distributeurs de copies et pas les receveurs. Je ne sais pas si ces rumeurs sont fondées. Ce qui est sur, c'est que le fait de copier des œuvres protégées constitue une contrefaçon, c'est à dire un delit défini par l’article L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle. Et la possession de ces copies constitue un recel. "Le recel est le fait [...] de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d'intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient [...] d'un délit."

Moralement : Et c'est la partie la plus compliquée, qui pourrait se résumer à une question : quelle est la volonté de l'artiste ? Lorsque l'artiste a publié son œuvre, quel était son but ? Que voulait-elle ? Voulait-elle gagner sa vie ? Voulait-elle devenir riche en vendant le plus possible ? Voulait-elle fournir de l'art à l'humanité ? Voulait-elle devenir célèbre ? Voulait-elle être seule à bénéficier de son œuvre ? En général, ce sont les réponses à ces questions qui vont aider l'artiste à déterminer la licence utilisée pour la diffusion de l’œuvre.
Après, à chaque personne consommatrice concernée de s'arranger avec sa moralité et le but de l'artiste. Dans le cas d’œuvres payantes, personnellement, j'ai plutôt tendance à pirater des œuvres dont le but est de faire le plus de fric possible ou qui appartiennent à des artistes qui vivent déjà très confortablement, en gardant mes achats officiels, payés, pour des artistes nouveaux, méconnus, et/ou qui comptent sur leurs ventes pour survivre. Je suis un Pirate, mais je reste conscient de la difficulté qu'ont certains pour vivre. D'autres pourront se dire : "ah non, moi je paye tout et si je n'ai pas les moyens, je n'en profite pas." Et d'autres encore pourront se dire : "Pourquoi payer alors que c'est disponible gratuitement sur internet, même si c'est illégal?" Chacun voit midi à sa porte en fonction de ses moyens et de ses convictions, je pense.

Commentaires

1. Le jeudi 17 janvier 2013, 14:35 par Olivier

"ah non, moi je paye tout et si je n'ai pas les moyens, je n'en profite pas." Je suis plus sur une optique : "pourquoi je piraterais de la merde ? Si ça me plaît, j'ai envie que l'artiste puisse continuer à le faire, puisse en vivre. Si ça me plaît pas, je ne le veux pas, ni piraté, ni autrement !"
Vouloir toujours plus, et prendre ce qu'on ne veut pas, ou ce dont on a pas besoin, c'est selon moi, idiot. Une oeuvre a but purement pécuniaire n'a a mes yeux aucun intérêt. Et pour une oeuvre qui m'intéresse mais pour laquelle je n'ai pas les moyens, l'artiste qui l'a produit n'a en général pas les moyens de vivre non plus sans les revenus de son oeuvre. Donc je me passe de l'avoir.

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